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LA PAILLE ET LA POUTRE


Notre ami a quelque chose dans l’œil ! Bien que ce soit quelque chose de minuscule (Jésus l’appelle une paille), cela doit être douloureux : il importe de l’en débarrasser au plus vite ! C’est certainement notre rôle d’ami de tout faire pour l’enlever et il nous en sera des plus reconnaissants. Nous aussi, nous devrions lui savoir gré de nous rendre le même service. Le passage de Matthieu 7 : 3-5 ne nous interdit pas de chercher à corriger la faute de notre prochain. Il suggère, au contraire, que nous devons nous y employer, et cela, à n’importe quel prix. Il est vrai que l’accent repose avant tout sur la condamnation de l’esprit de jugement, mais, une fois que cet esprit est écarté, le passage se termine par : « Alors, tu verras [ou : tu examineras] comment ôter la paille de l’œil de ton frère ». Selon le Nouveau Testament, nous devons tellement aimer notre frère que nous devons être prêts à faire n’importe quoi pour enlever de son œil la paille qui trouble sa vue et l’empêche d’être béni. Il nous est dit de nous « reprendre les uns les autres », de nous « exhorter les uns les autres » (Romains 15 : 14), de nous « inciter à l’amour et aux œuvres bonnes » (Hébreux 10 : 24) et, enfin, de nous « laver les pieds les uns aux autres » (Jean 13 : 14). L’amour de Jésus répandu en nous nous pousse à venir au secours de notre frère.

Quelle bénédiction pour beaucoup, si nous acceptons de reprendre et d’exhorter nos frères en toute humilité, comme Dieu nous l’inspire ! On raconte qu’un certain Nicolas, de Bâle, se rendit jusqu’à Strasbourg pour y rencontrer le Dr Tauler, alors prédicateur de renom dans cette ville. Quand il l’eut trouvé, il lui dit humblement : « Docteur, avant que vous puissiez accomplir une grande œuvre pour Dieu, pour cette ville et le monde, il faut que vous mouriez à vous-même, à vos dons, à votre réputation et même à votre bonté, etc. Lorsque vous aurez pleinement saisi le sens de la croix, vous aurez une nouvelle puissance auprès de Dieu et des hommes ». Cette humble exhortation de la part d’un chrétien inconnu transforma la vie de Tauler. Il apprit effectivement à mourir et devint, entre les mains de Dieu, un des plus puissants instruments qui préparèrent la voie à Luther et à la Réforme.

QU’EST-CE QUE LA POUTRE ?

Tout d’abord, Jésus explique qu’il est très facile d’enlever la paille — le petit grain ou le petit morceau de sciure — de l’œil de notre frère, lorsqu’il y a dans le nôtre une poutre, c’est-à-dire un très gros morceau de bois. Si tel était le cas, nous ne pourrions extraire la paille chez l’autre, car notre propre vue serait obscurcie ; ce serait donc de la pure hypocrisie. Nous savons tous ce que signifie cette paille dans l’œil de notre prochain. C’est une faute que nous croyons discerner en lui ; il se peut qu’il s’agisse d’un acte ou d’une attitude à notre égard. Mais qu’est-ce que Jésus entendait par la poutre dans notre œil ? Et si elle n’était autre chose que notre réaction peu charitable à la paille de l’autre ? Sans doute, ce dernier a des torts, mais notre manière de réagir est aussi un préjudice. La paille de son œil a provoqué en nous un ressentiment, une critique, de l’amertume ou de la mauvaise volonté — autant de variantes de la faute initiale : le manque d’amour. Cela, dit le Seigneur, est infiniment pire que le tort minime (peut- être inconscient) qui l’a provoqué. La différence est la même qu’entre un grain de sciure et une poutre. Chaque fois que nous montrons du doigt notre frère en disant : « C’est de sa faute », trois autres doigts de notre main sont dirigés contre nous, en signe d’accusation. Que Dieu nous pardonne les très nombreuses fois où, dans notre hypocrisie, nous avons voulu reprendre notre frère, sans nous rendre compte de l’énormité de notre propre faute.

Ne croyons pas, cependant, que la poutre soit nécessairement une réaction violente de notre part.

Non, un début de ressentiment est une poutre, tout comme la première lueur d’une pensée mauvaise ou l’ombre d’une critique naissante. Ces éléments déforment notre vision et nous ne pouvons plus voir notre frère comme un bien-aimé de Dieu qu’il est. Si donc nous lui parlons avec un tel obstacle dans notre cœur, cela ne fera que provoquer chez lui la même attitude dure, selon le principe suivant : « On vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez » (Matthieu 7 : 2 — Segond).

DÉPOSONS LA POUTRE AU CALVAIRE

Non ! « Ôte premièrement la poutre de ton œil » (v. 5). Voilà la première chose à faire : reconnaître notre réaction peu charitable comme étant un péché. Puis nous agenouiller devant le Calvaire, y contempler Jésus et voir ce que ce péché lui a coûté. Il nous faut nous repentir à ses pieds, être brisés tout à nouveau et accepter par la foi la purification par son sang. Il nous faut ensuite lui demander que, selon sa promesse, il nous remplisse de son amour pour le frère en question. Puis, notre devoir consistera très probablement à aller le trouver dans une attitude de repentance, lui demandant pardon pour le péché qui a obstrué notre cœur, en témoignant de sa purification par le sang de Christ. Certains objecteront — et peut-être serons-nous tentés d’objecter nous-mêmes — que le péché que nous confessons est bien inférieur à celui que l’autre n’a pas encore confessé. Mais nous sommes allés au Calvaire, nous y avons vu notre péché et nous ne pouvons plus comparer ce dernier

avec celui de quelqu’un d’autre.

Après avoir ainsi débarrassé notre œil de la poutre, nous « voyons clairement » comment procéder à l’extraction de la paille chez notre frère. À ce moment, Dieu déversera sur lui et sur nous une lumière inconnue jusqu’ici. Peut-être verrons-nous même que cette fameuse brindille n’était qu’une apparence, ou encore une projection de ce qui entravait notre propre vue. Mais il se peut aussi que Dieu nous révèle au sujet de notre frère des choses cachées dont il n’avait pas conscience. Alors, sous la direction de l’Esprit, nous les lui montrerons humblement, afin qu’il puisse les voir lui- même et les apporter à la Source qui coule encore pour le péché, afin d’en être délivré. Il est fort probable qu’il nous laissera faire. Et s’il est humble, il nous en saura gré et il verra qu’il n’y a pas de motif égoïste en nous, mais seulement de l’amour et de l’intérêt pour lui.

Si Dieu nous conduit à reprendre quelqu’un, ne nous laissons pas arrêter par la crainte. Ne cherchons pas non plus à imposer notre point de vue à tout prix. Disons simplement ce que Dieu nous met à cœur et laissons-le faire le reste. C’est son œuvre et non la nôtre. Il faut du temps pour courber un cou raide. Et, lorsqu’à notre tour nous sommes repris, ne nous défendons pas et ne cherchons pas à nous expliquer. Acceptons en silence, en remerciant celui qui nous reprend. Demandons ensuite à Dieu qu’il nous éclaire et, si notre ami a raison, soyons assez humbles pour le lui dire et louer Dieu ensemble. Nous avons grandement besoin les uns des autres. Nous ne verrons jamais les points noirs de notre vie si nous n’acceptons pas que Dieu emploie nos frères comme des instruments pour nous éclairer.


Roy Hession

extrait "le chemin du calvaire"


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