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L'ÉLECTION





1 - NÉCESSITÉ ET UTILITÉ DE LA DOCTRINE DE L’ÉLECTION


Un secret admirable du jugement de Dieu apparaît dans le fait que l’alliance de vie n’est pas présentée à tout le monde de façon identique et même, là où elle est prêchée, elle n’est pas reçue de façon égale par tous. Il n’y a pas à douter que cette diversité ne corresponde au bon plaisir de Dieu. Il est évident que c’est selon sa volonté que le salut est offert à certains et que les autres en sont privés.


De là, surgissent des questions difficiles et profondes qui ne trouvent leurs réponses que dans l’enseignement que les fidèles doivent connaître à propos de l’élection et de la prédestination de Dieu (1)


Ce sujet semble difficile à comprendre pour beaucoup de personnes, parce qu’elles trouvent qu’il est irrationnel que du commun des êtres humains (2), Dieu en prédestine les uns au salut et les autres à la mort. Or, il apparaîtra dans la suite de l’exposé que ces mêmes personnes se mettent dans une situation inextricable par manque de bon sens et de discernement. De plus, dans l’obscurité qui les effraye, nous verrons combien cette doctrine est non seulement utile, mais douce et savoureuse comme le fruit qu’elle produit. Jamais nous ne serons vraiment convaincus, comme il le faudrait, que la source de notre salut se trouve dans la miséricorde gratuite de Dieu, si son élection éternelle, elle aussi, n’est pas claire, illuminant la grâce de Dieu pour nous par la comparaison suivante : le Seigneur n’accorde pas à tout le monde indifféremment l’espérance du salut, mais il donne aux uns ce qu’il refuse aux autres.

Il est bien connu que l’ignorance de ce principe porte atteinte à la gloire de Dieu et réduit la vraie humilité, car elle conduit à ne pas reconnaître que l’unique cause de notre salut est en Dieu seul.

Comme il est indispensable d’être bien informé sur ce qui est nécessaire pour le salut, notons ce qu’en dit l’apôtre Paul : on ne le connaît pas bien si on ne reconnaît pas que Dieu, sans considération des œuvres, élit ceux qu’il a décrétés en lui-même (3). Dans le temps présent, dit-il, un reste est sauvé selon l’élection gratuite. « Si c’est par grâce, ce n’est plus par les œuvres; autrement la grâce n’est plus une grâce. Et si c’est par les œuvres, ce n’est plus une grâce, autrement l’œuvre n’est plus une œuvre » (Romains 11.5-6). S’il faut que nous soyons ramenés à l’élection de Dieu pour savoir que nous n’obtenons le salut que par la pure générosité de Dieu, ceux qui essayent, de façon ingrate, de démolir cette doctrine obscurcissent, autant qu’ils le peuvent, ce qui devait être célébré et proclamé sur les toits, et ils arrachent la racine de l’humilité. Paul témoigne ouvertement que, quand le salut du peuple est attribué à l’élection gratuite de Dieu, il est évident qu’il sauve selon son dessein bienveillant ceux que bon lui semble et qu’il n’est pas question de verser un salaire qui ne peut pas être dû.


Ceux qui s’opposent à ce qu’on s’intéresse à cette doctrine ne font pas moins d’injure aux hommes qu’à Dieu : sans elle, rien ne sera suffisant pour nous apprendre la vraie humilité et nous ne sentirons pas assez, au fond du cœur, combien nous sommes redevables à Dieu. En fait, Christ nous enseigne que nous ne trouvons nulle part ailleurs assurance ou confiance. Pour nous fortifier et nous délivrer de la crainte dans tant de périls, d’embûches et d’assauts mortels, bref, pour nous rendre triomphants, il nous assure que tout ce que le Père lui a donné en garde ne périra pas (Jean 10.27-30). En conséquence, nous devons comprendre que tous ceux qui ne savent pas qu’ils font partie du peuple particulier de Dieu sont malheureux, puisqu’ils sont constamment dans la crainte. Et tous ceux qui ferment les yeux sur les trois bienfaits que nous avons énumérés….

1 - Totale gratuité de notre salut

2 - Glorification de Dieu

3 - Véritable humilité

…. et voudraient renverser ce fondement, ne discernent pas ce qui leur est avantageux ainsi qu’à tous les croyants. C’est aussi de cette façon que l’Eglise nous est manifestée, comme le dit très bien Bernard de Clairvaux: « elle pourrait ne pas être trouvée ni être reconnue parmi les créatures, puisque d’une façon admirable, elle est cachée dans la prédestination bien heureuse et dans la dramatique damnation des hommes (4). »


Avant d’aborder vraiment ce sujet, il me faut, dans une préface, évoquer deux catégories de personnes.


1° - Alors que cette question de la prédestination est, en elle-même, un peu difficile, la curiosité des hommes la rend encore plus obscure, compliquée et même périlleuse. La raison humaine ne sait, en effet, ni se modérer ni se limiter sans s’égarer dans de grands détours et s’élève trop haut, désirant, si cela était possible, analyser et éplucher le secret de Dieu. Comme nous en voyons beaucoup faire preuve de cette audace inconsidérée, même si plusieurs ne sont pas mal intentionnés, il nous faut leur rappeler dans quel esprit aborder ce sujet.


Il leur faut, d’abord, se souvenir, lorsqu’ils abordent la question de la prédestination, qu’ils entrent dans le sanctuaire de la sagesse divine.

Ne cherchons pas à comprendre ce qui dépasse nos limites humaines.


Si quelqu’un y pénètre et s’avance avec une confiance insouciante, il n’arrivera jamais à satisfaire sa curiosité et il entrera dans un labyrinthe dont il ne trouvera pas l’issue (5). Il n’est pas légitime, en effet, que les choses que Dieu a voulu cacher, et dont il s’est réservé la connaissance, soient ainsi décortiquées par les hommes et que la profondeur de sa sagesse – qu’il a voulu être plutôt adorée par nous que comprise, afin de se rendre admirable en elle – soit soumise à la compréhension humaine pour qu’elle soit sondée jusque dans son éternité (6). Les secrets de sa volonté qu’il a jugé bon de nous communiquer, Dieu nous les a présentés dans sa Parole. Et il a jugé bon de nous révéler tout ce qui, nous concernant, nous serait bénéfique.



2. LA PRÉDESTINATION ET «LES LIMITES» DE L’ÉCRITURE


Nous sommes engagés sur le chemin de la foi, dit Augustin, restons-y constamment; il nous mènera jusque dans la chambre du Roi céleste, où tous les trésors de la science et de la sagesse sont cachés. Le Seigneur Jésus n’avait aucune intention négative vis-à-vis de ses apôtres qu’il avait élevés à une si grande dignité lorsqu’il leur a dit: « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les comprendre maintenant » (Jean 16.12).


C’est une question de révélation divine et non de raisonnement humain.


Il nous faut cheminer, il nous faut avancer, il nous faut croître, afin que nos cœurs soient capables d’accueillir des choses que nous ne pouvons pas encore comprendre (7). Si la mort nous surprend alors que nous sommes en train de progresser, nous connaîtrons hors de ce monde ce que nous n’avons pas pu savoir maintenant. Si la pensée nous vient que la Parole de Dieu est le chemin unique pour nous conduire à rechercher tout ce qu’il est permis de connaître du Seigneur, si elle est la seule lumière pour nous faire contempler ce qu’il est permis d’en voir, elle nous retiendra facilement et nous gardera de toute imprudence. Car, nous reconnaîtrons qu’en dehors des limites de l’Ecriture, nous n’avançons plus sur le chemin mais dans les ténèbres; nous ne pourrons donc qu’errer, trébucher et tomber à chaque pas.


Considérons donc cela avant tout :


Désirer une autre connaissance de la prédestination que celle qui nous est donnée par la Parole de Dieu est aussi insensé que la folie de quelqu’un qui voudrait cheminer sur des rochers inaccessibles ou voir dans les ténèbres.

N’ayons pas honte d’ignorer quelque chose à ce sujet, car il y des ignorances plus savantes que le savoir (8).


De grâce soyons sages


Apprenons plutôt à nous abstenir de désirer une connaissance dont la recherche est insensée et dangereuse, ou même mauvaise. Si nous sommes vraiment sollicités par la curiosité, ayons toujours ce texte présent à l’esprit pour la modérer : « Il n’est pas bon de manger beaucoup de miel, ni pour les hommes de rechercher leur gloire », cela ne profitera pas aux curieux (9) (Proverbes 25.27). C’est bien pour nous ôter l’audace dont nous voyons qu’elle ne peut rien faire d’autre que nous précipiter dans la ruine.



3. LES TIMIDES NÉGLIGENT UN ASPECT DE L’ÉCRITURE


2° - Une seconde catégorie de personnes voulant remédier à ce mal s’efforcent d’ensevelir tout souvenir de la prédestination (10); au mieux, ils recommandent d’éviter le sujet autant que possible, comme étant une chose dangereuse.


Cette réserve qui ne veut approcher des mystères de Dieu qu’avec une grande sobriété est louable, mais elle fait trop de concessions et n’est pas profitable aux esprits humains, qui ne se laissent pas brider aussi facilement. Pour trouver un bon équilibre, il faut revenir à la Parole de Dieu où se trouve ce qui est nécessaire pour éclairer notre compréhension. L’Ecriture est l’école du Saint-Esprit, dans laquelle il n’y a rien d’omis qui soit salutaire et utile à connaître, de même qu’il n’y a rien d’enseigné qu’il ne soit pas expédient de savoir. Il ne faut donc pas empêcher les croyants de s’informer sur ce qui est contenu dans l’Ecriture sur la prédestination, afin de ne pas donner l’impression de vouloir les priver du bien que Dieu leur a communiqué, ou de vouloir accuser le Saint-Esprit, comme s’il avait publié des choses qu’il aurait été bon de censurer.


Permettons donc au chrétien d’ouvrir les oreilles de son intelligence à toute doctrine que Dieu lui communique, moyennant qu’il ait la sagesse, lorsqu’il verra que la bouche de Dieu est fermée, de s’arrêter de questionner. Cela sera faire preuve de la modération souhaitée si, lorsque nous apprenons, nous suivons Dieu qui est toujours devant nous; à l’inverse, lorsqu’il arrêtera son enseignement, cessons de vouloir en savoir davantage.


Le péril que redoutent les bonnes personnes, dont nous avons parlé, n’est pas tel que nous devions cesser d’écouter Dieu et tout ce qu’il dit. Cette parole de Salomon est remarquable : « La gloire de Dieu, c’est de cacher les choses » (Proverbes 25.2). Mais la piété et le bon sens montrent qu’il ne s’agit pas des choses en général; nous devons opérer des distinctions de peur que, sous couvert d’humilité et de réserve, nous prenions plaisir à l’ignorance la plus crasse et nous la flattions. Moïse présente cette distinction en quelques mots: « Les choses cachées sont à l’Eternel, notre Dieu; les choses révélées sont à nous et à nos fils » (Deutéronome 29.28). Nous voyons comment il exhorte le peuple à s’appliquer à étudier la doctrine contenue dans la Loi parce qu’il a plu à Dieu de la publier. Et il retient aussi le même peuple dans les frontières et les limites de l’instruction qui lui est donnée, pour la seule raison qu’il n’est pas permis aux hommes mortels de pénétrer les secrets de Dieu.



4. LA DOCTRINE DE LA PRÉDESTINATION N’EST PAS NÉFASTE


Je reconnais que les incroyants et les profanateurs trouvent immédiatement, avec la question de la prédestination, matière pour accuser, contester, ricaner.


Mais si nous craignons leurs élucubrations, il faudra taire les principaux articles de notre foi, dont ils ne laissent quasiment pas un sans l’infecter par leurs blasphèmes.


  • Un esprit rebelle ne prendra pas moins feu en entendant qu’en une seule essence de Dieu, il y a trois personnes que si on lui dit que Dieu, en créant l’homme, a prévu ce qui devait arriver.


  • Les mêmes ne s’abstiendront pas non plus de rire quand on leur dira qu’il n’y a guère plus de cinq mille ans que le monde est créé, car ils demanderont pourquoi la puissance de Dieu a été si longtemps oisive (11).


Pour arrêter de tels sacrilèges, nous faudrait-il nous abstenir de parler de la divinité de Christ et du Saint-Esprit ? Nous faudrait-il cesser de parler de la création du monde ?


Bien au contraire, la vérité de Dieu est si puissante, en ces questions comme partout, qu’elle ne craint pas la médisance des incroyants. Augustin le montre très bien dans le livret qu’il a intitulé "Du don de la persévérance" (12). Nous voyons que les faux apôtres, en critiquant et en diffamant l’enseignement de Paul, n’ont pas réussi à ce qu’il en ait honte.

Affirmer, comme le font certains, que ce débat est dangereux, même pour les croyants, puisqu’il est contraire aux exhortations, qu’il ébranle la foi, qu’il trouble et décourage les cœurs, n’est pas sérieux !

Augustin ne cache pas qu’on lui a reproché, pour ces raisons, de prêcher trop librement la prédestination; mais il a réfuté ces objections sans difficulté (13). Pour le moment, nous différons de répondre à chacune des objections absurdes, nombreuses et diverses (14), qu’on fait à la doctrine que nous allons présenter.


« Maintenant, je souhaite obtenir de tous, de façon générale, qu’ils ne cherchent pas les choses que Dieu a voulu garder cachées et qu’ils ne négligent pas celles qu’il a révélées. Et cela, de peur qu’il ne nous condamne, d’une part, pour une trop grande curiosité et, d’autre part, pour de l’ingratitude. »

Cette phrase d’Augustin est très juste : nous pouvons suivre l’Ecriture qui s’adapte à notre petitesse comme une mère à la faiblesse de son enfant, quand elle veut lui apprendre à marcher (15). Quant à ceux qui sont si timides et circonspects qu’ils voudraient que la prédestination soit passée sous silence, afin de ne pas troubler les âmes faibles, je vous le demande, déguiseront-ils leur orgueil puisqu’ils accusent indirectement Dieu d’un sot manque de réflexion, comme s’il n’avait pas prévu le péril auquel ils pensent sagement remédier ? Ainsi, celui qui rend odieuse la doctrine de la prédestination critique Dieu ou médit à son sujet ouvertement, comme si le Seigneur avait, par inadvertance, publié ce qui ne peut qu’être nuisible à l’Eglise.



5. LA DOCTRINE DE LA PRÉDESTINATION EST FONDÉE SUR L’ÉCRITURE


Quiconque veut être considéré comme quelqu’un qui craint Dieu n’osera pas nier simplement la prédestination par laquelle Dieu a ordonné les uns au salut et assigné les autres à la damnation éternelle.


Plusieurs l’enveloppent dans des arguments subtiles, surtout ceux qui veulent fonder la prédestination sur la prescience de Dieu (16). Nous disons bien que Dieu prévoit toutes choses comme il les dispose, mais c’est tout confondre, de dire que Dieu élit ou rejette selon qu’il prévoit ceci ou cela. Quand nous attribuons une prescience à Dieu, nous indiquons que toutes choses ont toujours été et demeurent éternellement en son regard, de telle sorte qu’il n’y a rien de futur, ni de passé dans sa connaissance, mais que toutes choses sont présentes pour lui. Et elles le sont tellement qu’il ne les imagine pas comme des idées, des choses dont nous avons le souvenir, c’est-à-dire qui se présentent quasiment devant les yeux par l’imagination. Mais il les voit et les regarde, en son conseil, dans toute leur réalité, comme si elles étaient vraiment devant lui. Nous affirmons que cette prescience s’étend à tout l’univers et à toutes les créatures.


Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque être humain (17).


Car Dieu ne les crée pas tous dans une même condition, mais il ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin pour laquelle est créé l’être humain, nous disons que celui-ci est prédestiné à la mort ou à la vie. Dieu a rendu témoignage de sa prédestination, non seulement dans chaque personne individuelle, mais dans toute la lignée d’Abraham, qui est l’exemple par lequel il montre que c’est à lui d’ordonner, selon son dessein bienveillant, quelle doit être la condition de chaque peuple. « Quand le Très-Haut donna un héritage aux nations, dit Moïse, quand il sépara les uns des autres les fils d’Adam… le partage de l’Eternel, c’est son peuple, Jacob est sa part d’héritage » (Deutéronome 32.8-9). L’élection est évidente : en la personne d’Abraham, comme d’un tronc sec et mort, un peuple est choisi et séparé des autres, qui sont rejetés. La raison n’en apparaît pas, si ce n’est que Moïse, afin de détruire tout sujet de gloire, montre aux successeurs que leur privilège réside dans l’amour gratuit de Dieu. Il donne pour cause à leur rédemption que « Dieu a aimé tes pères et choisi leur descendance après eux » (4.37). Moïse parle de façon plus explicite en un autre endroit : « Ce n’est pas parce que vous surpassez en nombre tous les peuples que l’Eternel s’est attaché à vous et qu’il vous a choisis… mais parce que l’Eternel vous aime » (7.7-8).


Cet avertissement est répété plusieurs fois. «Voici qu’à l’Eternel ton Dieu appartiennent les cieux, la terre… et c’est à tes pères seulement que l’Eternel s’est attaché pour les aimer et, après eux, c’est leur descendance, c’est vous qu’il a choisis» (10.14-15).


De même ailleurs, il leur commande d’être un peuple saint, parce qu’ils sont un peuple qui appartient à Dieu (26.18-19). Ailleurs encore, il montre que l’amour de Dieu a fait de lui leur protecteur (23.6). Les croyants le confessent d’une seule voix : « Il nous choisit notre héritage, la gloire de Jacob qu’il aime » (Psaume 47.5).


Ils attribuent à cet amour gratuit de Dieu tous les dons qu’il leur avait accordés : non seulement parce qu’ils savaient bien que ces dons n’étaient pas la conséquence de leurs mérites, mais que le saint patriarche Jacob lui-même n’avait pas eu en lui une vertu telle qu’il ait acquis, pour lui et pour ses successeurs, un si haut privilège. Et pour briser et démolir tout orgueil, Moïse reproche souvent aux Juifs de n’avoir pas mérité l’honneur que Dieu leur a fait, car c’est « un peuple à la nuque raide » (Deutéronome 9.6).


Parfois aussi, les prophètes mettent en avant la même élection pour faire honte aux Juifs de leur indignité, élection dont ils ont été déchus par leur ingratitude (Amos 3.2). Quoi qu’il en soit, que ceux qui veulent attacher l’élection de Dieu à la dignité des hommes ou aux mérites de leurs œuvres, répondent à cette question :


Voyant qu’une seule lignée est préférée à tout le reste du monde et entendant de la bouche de Dieu qu’il n’y avait aucune raison, pour lui, d’être plus attiré par un petit troupeau méprisé et, ensuite, méchant et dissolu, que par les autres, feront-ils un procès à Dieu parce qu’il lui a plu de montrer un tel exemple de sa miséricorde ?


Tous leurs murmures et leurs oppositions n’empêcheront certainement pas l’accomplissement de l’œuvre du Seigneur ! En criant leur colère contre le ciel, comme s’ils lançaient des pierres, ils ne toucheront ni ne léseront la justice de Dieu. Leurs pierres leur retomberont sur la tête !


Ce principe de l’élection gratuite est rappelé au peuple d’Israël lorsqu’il est question de rendre grâces à Dieu ou de confirmer sa confiance en l’avenir. « C’est lui qui nous a faits et nous sommes à lui: son peuple et le troupeau de son pâturage » (Psaume 100.3)


Autrement dit, nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes. La négation n’est pas superflue; elle est là pour nous exclure afin que, non seulement nous apprenions plus ou moins nettement que Dieu est l’Auteur de tous les biens qui nous améliorent, mais aussi que c’est lui qui a décidé de nous les donner librement, et cela parce qu’il n’avait rien trouvé en nous qui soit digne d’un tel honneur.


Le psalmiste leur explique, dans un autre texte, qu’ils doivent se tenir cachés sous l’ombre du bon plaisir de Dieu, en disant qu’ils sont « la descendance d’Abraham, son serviteur, fils de Jacob, son élu » (105.6).


Après avoir rappelé les bénédictions continuelles qu’ils avaient reçues comme fruits de leur élection, il conclut qu’ainsi Dieu a été généreux, parce qu’il s’est souvenu de son alliance. Affirmation à laquelle répond le cantique de toute l’Eglise : « Seigneur, ce n’est pas avec leur épée qu’ils ont pris possession du pays… mais c’est ta droite… c’est la lumière de ta face, parce que tu leur étais favorable » (44.4).


Il est à noter que lorsqu’il est fait mention de la terre, c’est un gage visible de l’élection secrète de Dieu, par laquelle ils ont été adoptés. L’exhortation de David, qui est rapportée dans un autre Psaume, tend au même but : « Heureuse la nation dont l’Eternel est le Dieu! Heureux le peuple qu’il a choisi pour son héritage ! » (33.12)


Samuel évoque encore une espérance en disant : « L’Eternel ne délaissera pas son peuple, à cause de son grand nom, car l’Eternel a résolu de faire de vous son peuple » (1 Samuel 12.22).


David dit la même chose à son propre sujet; car, voyant sa foi assaillie, il prend comme arme pour résister dans le combat : « Heureux celui que tu as choisi… pour qu’il demeure dans tes parvis » (Psaume 65.5).


Parce que l’élection, qui autrement est cachée en Dieu, a été jadis ratifiée par la première rédemption des Juifs ainsi que par la seconde (18) et par d’autres bienfaits, le mot élire s’applique parfois à ces manifestations visibles de l’élection qui, pourtant, en sont tributaires. Comme le dit Esaïe: « Car l’Eternel aura compassion de Jacob, il choisira encore Israël » (14.1).


En parlant du temps à venir, il dit que le rassemblement que Dieu fera du reste de son peuple, qu’il a comme déshérité, sera un signe que son élection demeurera toujours ferme et stable, bien qu’elle ait semblé, à ce moment-là, être annulée. Et en disant ailleurs : « Je te choisis et ne te rejette pas » (41.9).


Esaïe magnifie le cours ininterrompu de l’amour paternel de Dieu, manifesté en tant de bienfaits. L’ange parle encore plus ouvertement en Zacharie : J’élirai encore Jérusalem (Zacharie 2.16), comme si en la châtiant si rudement, il l’avait éprouvée, ou bien que la captivité ait interrompu l’élection du peuple. Cependant cette élection est inviolable, même si les signes n’en sont pas toujours visibles.



6. L’ÉLECTION AU SEIN MÊME DES DOUZE TRIBUS D’ISRAËL


Ajoutons maintenant une seconde distinction, plus limitée et moins vaste, de l’élection, afin que la grâce spéciale de Dieu en ait d’autant plus de lustre.


Dieu a écarté certains membres de la descendance d’Abraham et il en a maintenu d’autres en son Eglise, afin de montrer qu’il les reconnaissait comme les siens.


Ismaël, au commencement, était l’égal de son frère Isaac, puisque l’alliance spirituelle avait été aussi scellée en son corps par le sacrement de la circoncision. Ismaël est retranché, puis Esaü, finalement une multitude innombrable et presque toutes les dix tribus d’Israël. La postérité a été suscitée en Isaac (Genèse 21.12); la même vocation a été perpétuée en Jacob. Dieu a donné un exemple semblable en réprouvant Saül (1 Samuel 15.23, 16.1). Cela est aussi proclamé dans un Psaume, quand il est dit : « Il eut du mépris pour la tente de Joseph, il n’a pas fait de la tribu d’Ephraïm son élue. Il a élu la tribu de Juda » (78.67-68).


Cela s’est produit plusieurs fois dans l’histoire sainte, afin de mieux faire connaître, dans un tel changement, le secret étonnant de la grâce de Dieu.


Je reconnais qu’Ismaël, Esaü et leurs semblables sont déchus de leur adoption par leur propre faute et leur culpabilité, puisque il y avait, de leur côté, la condition posée de garder fidèlement l’alliance de Dieu, qu’ils ont déloyalement violée. Il n’en reste pas moins que cela a été une bénédiction extraordinaire que Dieu ait daigné choisir Israël et non les autres nations, comme cela est dit dans le Psaume : « Il n’a pas fait de même pour toutes les nations; elles ne connaissent pas ses ordonnances » (147.20).


Je n’ai pas dit, sans bonne raison, qu’il fallait noter ici une double distinction. Déjà dans l’élection du peuple d’Israël, Dieu ne s’est pas astreint à une règle lorsqu’il a mis en œuvre sa pure générosité. Vouloir l’obliger à appliquer la même règle pour tous serait usurper son droit, alors que l’inégalité même impliquée dans l’élection montre que sa bonté est vraiment gratuite. C’est pourquoi Malachie, voulant souligner l’ingratitude des enfants d’Israël, leur reproche non seulement d’avoir été élus parmi tout le genre humain, mais, d’avoir encore été mis à part dans la postérité sainte d’Abraham. Cependant, ils ont injustement méprisé Dieu qui était leur Père plein de grâce. « Esaü n’est-il pas frère de Jacob ? Cependant j’ai aimé Jacob, et j’ai eu de la haine pour Esaü » (Malachie 1.2-3; Romains 9.13).


Dieu propose comme une évidence que, même si les deux frères ont été engendrés par Isaac et sont, par conséquent, héritiers de l’alliance céleste, et pour tout dire, des rameaux de la sainte racine, les enfants de Jacob ont été particulièrement redevables à Dieu, étant placés dans une position spéciale. Car, lorsque Dieu a rejeté Esaü, le premier-né, il avait fait de leur père Jacob le seul héritier, bien qu’il fut le second dans l’ordre de la nature. Dieu les accuse donc d’une double ingratitude et se plaint qu’ils n’ont pas observé l’obéissance demandée par ces deux liens de l’alliance.


7. L’ÉLECTION DES PERSONNES PARTICULIÈRES


Nous avons déjà assez clairement dit que Dieu élit, dans son conseil secret, ceux que bon lui semble, en rejetant les autres, mais son élection gratuite n’a encore été expliquée qu’à moitié.


Il faut en venir aux personnes individuelles à qui Dieu offre non seulement le salut, mais aussi à qui il donne une telle assurance que sa réalité n’est plus incertaine ou à mettre en doute (19). Ceux-ci sont comptés comme appartenant à la postérité unique dont Paul fait mention (Romains 9.8; Galates 3.16, 19-20). L’adoption a été accordée à Abraham comme un dépôt, aussi bien à lui qu’à sa descendance. Néanmoins, parce que plusieurs de ses successeurs ont été retranchés comme des membres pourris, pour que l’élection soit durable et efficace, il est nécessaire de monter jusqu’au Chef (20), en qui le Père céleste unit à lui ses élus et les conjoint ensemble par un lien indissoluble.


Ainsi, dans l’adoption de la descendance d’Abraham, la libre grâce de Dieu, refusée à tous les autres, apparaît très bien; mais dans les membres de Jésus Christ, la grâce se manifeste à un degré suprême parce qu’étant unis à leur Chef, ces membres ne seront jamais retranchés de leur salut.


L’argument de l’apôtre Paul est bien à propos quand il se réfère au texte de Malachie déjà évoqué (1.2; Romains 9.13). Quand Dieu appelle un peuple à lui avec la promesse de la vie éternelle, tous ne sont pas effectivement élus dans une égalité de grâce, car il en choisit une partie de façon plus spéciale. Ce qui est dit : « J’ai aimé Jacob », appartient à toute la postérité du saint patriarche, que Malachie oppose aux enfants issus d’Esaü. Ceci n’est pas en contradiction avec le fait que, dans la personne d’un homme, Dieu ne nous ait donné un exemple (21) d’élection qui ne peut pas manquer d’arriver au but envisagé. Paul, non sans raison, note que ceux qui appartiennent au corps de Jésus-Christ sont nommés « un reste » (Romains 9.27, 11.5; Esaïe 10.22-23), puisque l’expérience montre que de la grande multitude appelée l’Eglise, nombreux s’en séparent et disparaissent au point qu’il n’en reste qu’un petit effectif. Si on demande pourquoi l’élection générale du peuple n’est pas toujours immuable et efficace, la raison est évidente : Dieu ne donne pas l’Esprit de régénération à tous ceux auxquels il offre sa Parole pour entrer en alliance avec eux. Ainsi, bien qu’ils soient appelés extérieurement, ils n’ont pas la capacité de persévérer jusqu’à la fin. Ainsi, cette vocation extérieure sans l’efficacité secrète du Saint-Esprit est comme une grâce intermédiaire entre le rejet du genre humain et l’élection des croyants, qui sont vraiment des enfants de Dieu (22).


Tout le peuple d’Israël a été appelé l’héritage de Dieu (Deutéronome 32.9; 1 Rois 8.51); toutefois, il y en a beaucoup d’étrangers à la grâce; mais parce que Dieu n’avait pas promis d’être leur Père et Rédempteur en vain en leur donnant ce titre, il avait en vue sa faveur gratuite plutôt que le péché déloyal des apostats. Même leur révolte n’a pas aboli sa vérité, car en préservant un reste, il a montré que son appel est irrévocable (Romains 11.29). Car à cause de son alliance Dieu a toujours rassemblé son Eglise parmi les enfants d’Abraham plutôt que parmi les nations profanes. Ainsi Dieu a veillé à ce que l’alliance ne défaille pas, même si elle était restreinte à peu de personnes, parce que le plus grand nombre l’avait violée à cause de son incrédulité.


Bref, l’adoption commune de la descendance d’Abraham a été l’image visible d’une grâce encore meilleure qui a été accordée aux vrais élus parmi la multitude.


C’est la raison pour laquelle Paul distingue soigneusement les enfants d’Abraham selon la chair des enfants « spirituels » qui ont été appelés à l’exemple d’Isaac (Romains 9.7-8; Galates 4.28). Non pas que cela ait été simplement une chose inutile et sans importance d’être des enfants d’Abraham – on ne peut pas dire cela sans faire injure à l’alliance du salu ! – car ils étaient héritiers quant à la promesse. Mais le conseil immuable de Dieu, par lequel il prédestine ceux que bon lui semble, a déployé sa puissance pour le salut de ceux qui sont qualifiés « spirituels ». Je conseille à mes lecteurs de ne pas adopter une position ou une autre avant d’avoir entendu les témoignages de l’Ecriture que je présenterai et d’avoir discerné quelle conclusion en tirer.


Nous disons donc (23), comme l’Ecriture le montre avec clarté, que Dieu a décrété une fois, en son conseil éternel et immuable, qui il voulait recevoir en son salut et qui il voulait vouer à la perdition.


Nous affirmons que ce conseil, en ce qui concerne les élus, est fondé sur sa miséricorde sans aucun égard à la dignité humaine. A l’inverse, par son jugement secret et incompréhensible, mais juste et équitable, l’entrée de la vie est fermée à tous ceux qu’il veut livrer à la damnation (24).


De plus, nous enseignons que la vocation des élus est comme une manifestation et un témoignage de leur élection. Pareillement, leur justification en est encore une marque et un signe jusqu’à ce qu’ils viennent à la gloire, dans laquelle se trouve l’accomplissement de cette élection. Or, comme le Seigneur marque ceux qu’il a élus, en les appelant et en les justifiant, de même, au contraire, en privant les réprouvés de la connaissance de sa Parole, ou de la sanctification de son Esprit, il montre, par un tel signe, quelle est leur fin et quel jugement leur est préparé (25).


Je n’évoquerai pas, ici, les nombreuses fictions que plusieurs fous ont inventées pour éliminer la prédestination. Je me limite seulement à considérer les objections qui existent chez les personnes instruites ou qui peuvent susciter des réticences chez les gens simples, ou bien qui semblent permettre de penser que Dieu n’est pas juste si l’élection est telle que nous l’avons décrite.



Commentaires de la Revue Réformée

De "l’élection éternelle" Jean CALVIN




1) Voici, quelques bonnes pages de l’édition, en français contemporain, de l’Institution de la religion chrétienne, de Jean Calvin (III, xxi) qui paraîtra en 2009 à l’occasion du 5ème centenaire de la naissance du Réformateur. Traduction Marie de Védrines et Paul Wells.

On remarquera que Calvin place son enseignement sur la doctrine de l’élection dans la section qui traite du salut et de la participation à la grâce qui est en Jésus-Christ, et non dans le premier livre de l’IC (comme c’était le cas dans les éditions précédentes) où est abordée la question de la providence de Dieu.

Voir les remarques de Benoît, III, 404n1 et McNeill/Battles, II, 920n1. A ce sujet, en dehors des lieux classiques des commentaires, on note, en particulier, les traités: Réponse aux calomnies d’Albert Pighius: contenant la défense de la doctrine chrétienne touchant la servitude et délivrance du franc-arbitre de l’homme, (1543), CR VI, 233-404 (latin); Congrégation sur l’élection éternelle de Dieu, (1551), CR, VIII, 85-140; Traité de la prédestination éternelle de Dieu (1552) CR, VIII, 249-366 (latin).


2) Cette clause est dans le latin, mais pas dans le français. Calvin pense peut-être à Erasme, Eck ou Pighius. Cf. McNeill/Battles, II, 911n2.

3) Cela veut dire: par la décision de sa volonté.

4) Bernard de Clairvaux, Sermons sur le Cantique des Cantiques, lxxviii, 4.

5) Cf. Comm., Jean 6.14; Romains 9.14; Ephésiens 1.4, sur «le labyrinthe».

6) Jean Cadier voit ici une référence aux décrets éternels de Dieu. EK, III, 394n3.

7) Augustin, Traité sur Saint Jean, liii, 7.

8) «Docta ignorantia»: Cf., IC, III, xxiii, 8. La phrase est d’Augustin, Lettres, cxxx, 15, 28 (à Proba).

9) Calvin suit ici la Vulgate: celui qui scrute la majesté sera opprimé par la gloire. Ce texte a donné lieu aux interprétations les plus diverses. Le texte hébreu dit: l’examen de leur gloire est gloire. Le texte grec de la version des Septante: il faut craindre les paroles de louange. Calvin, qui savait pourtant l’hébreu qu’il avait appris de Melchior Wolmar à Bourges, emprunte souvent sa traduction à la Vulgate.

10) Ce conseil a été donné, en 1551, par les théologiens et le magistrat de Berne aux pasteurs de Lausanne et du Pays de Vaud (Cf. CR, VIII, 237-242). Une référence aussi à P. Melanchthon, peut-être, qui n’aborde pas le sujet dans ses Loci communes de 1521, même s’il inclut un chapitre (xv) à ce sujet dans l’édition de 1555.

11) Cf., IC, I, xiv, 1.

12) Augustin, Du don de la persévérance, xiv-xx.

13) Ibid., xiv, 34ss; xx, 52; cf. Lettres ccxxvi, 8 (d’Hilaire à Augustin).

14) Cf., IC, III, xxiii.

15) Augustin, De la Genèse au sens littéral, V, iii, 6.

16) Cette thèse sera réfutée par Calvin au cours du prochain chapitre xxii, 1-9.

17) Cf., plus loin, le sommaire à la fin du § 7.

18) La sortie d’Egypte et le retour de l’exil.

19) Cf. Comm. 1 Corinthiens 1.9.

20) Calvin met ici en lumière le caractère christocentrique de l’élection et l’alliance comme le «nœud» de l’élection.

21) Français, miroir, cf. IC, III, xxiv, 5; latin, specimen (exemple) electionis.

22) Calvin traitera de la vocation générale ou extérieure et de la vocation particulière, intérieure et efficace, au chapitre xxiv.

23) Ce paragraphe présente un sommaire du chapitre.

24) Ce point fera l’objet du prochain chapitre xxii.

25) Ce point sera développé au chapitre xxiv


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